La gravure traditionnelle entretenait des rapports étroits avec le livre, elle existait avant tout comme moyen de reproduction. Liée à la peinture et aux autres formes d’arts plastiques, elle les reproduisait et les diffusait au sein du livre.Aujourd’hui les moyens de reproduction sont multiples et d’une redoutable fidélité.
La gravure en profite pour retrouver sa valeur de médium d’expression picturale. Il ne s’agit plus de reproduire une image existante sur une planche et de l’imprimer (gravure de reproduction) mais de travailler directement la matière même de cette planche (gravure originale).
Le façonnage de la matrice est un travail particulier qui pourrait être à mi-chemin entre celui du sculpteur et celui du peintre dessinateur. La gravure se libère en partie des contraintes techniques, la reproduction fidèle « au trait » n’étant plus d’actualité, on peut laisser la matrice traditionnelle en métal pour expérimenter toutes sortes de matériaux (lino, contreplaqué, enduit polyester etc.) ce qui permet de travailler en toute liberté, obtenant ainsi une grande spontanéité dans la réalisation des estampes.
Le tirage d’une gravure est un travail artisanal fait d’une série de manipulations : encrage essuyage et passage sous presse. Lors d’un tirage limité, cette succession d’étapes manuelles fait que chaque épreuve imprimée possède un caractère unique (différences d’encrage, d’essuyage ou de vitesse de rotation de la presse). Avec une seule matrice, on peut obtenir des résultats très différents, dans un même tirage chaque estampe a valeur d’original, il n’est plus question de reproduction en grand nombre, mais de création à part entière.
La gravure est par nature le lieu privilégié du non-dit, de l’indécis crépusculaire, du non-finito à la Rembrandt, de la matière embryonnaire. La critique a noté qu’elle a exprimé mieux que le crayon ou l’huile, les rêves et les pensées intimes, qu’elle a servi magistralement le Symbolisme, l’Expressionnisme, le surréalisme.
La gravure est étroitement liée à la civilisation humaine. C’est le médium le plus primitif et le plus contemporain. Les premières empreintes de mains dans les grottes, estampes primitives, sont aujourd’hui référencées et stockées sur de petites galettes de plastique gravé. Ce cd-rom, gravure contemporaine, est lui-même réalisé par un de nos ordinateurs, assemblage de circuits imprimés (descendants directs de la gravure sur cuivre traditionnelle.) Le coeur de l’ordinateur n’est autre chose qu’une plaquette de silicium gravé, il y a là un mystère qui n’a pas fini d’intriguer l’homme.
Le rôle de la gravure dans l’évolution humaine n’est pas négligeable, support de diffusion avec le livre, support de mémoire auditive et visuelle…
Si l’on s’intéresse aux mathématiques, on a envie de rapprocher la gravure et le nombre 26.
26 est le seul nombre placé entre un carré (25 = 5 au carré) et un cube (27 = 3 au cube.) L’action d’imprimer symbolise ce passage de trois à deux dimensions, on travaille sur un objet en volume pour l’imprimer sur une surface plane. La cabale nous dit que le nombre 26 correspond au mot « existence », comment comprendre le geste de l’homme paléolithique imprimant sa main sur le mur, n’est ce pas une manière de prouver son existence, d’en laisser une trace.
Toute cette charge historique et émotionnelle contribue à faire de la gravure un médium toujours aussi fascinant.
Aujourd’hui l’estampe contemporaine est depuis longtemps libérée de ses contraintes de reproduction et de fidélité, les machines offset et les imprimantes laser se chargent de la réalité ultra-rapide. La gravure en profite pour revendiquer la « lenteur » de sa conception (actuellement le luxe n’est-il pas de prendre le temps de faire ?) L’estampe complète l’imprimerie numérique par sa référence aux sens ; le toucher, la vue et même l’odorat sont mis en éveil par ce médium sensuel. L’éventail des supports imprimants comme celui des supports imprimés est extrêmement vaste, la gravure actuelle se prête à tous les détournements.
Le champ des pistes à découvrir est encore immense et la musique de la gravure attire toujours les artistes.
Les vrais artistes pratiquent la gravure moins en raison de la multiplication des épreuves que pour les possibilités plastiques qu’offre le matériau et l’outillage employés. La satisfaction que donne la difficulté vaincue, la joie d’un nouveau tour plastique et finalement l’épreuve réussie, voilà la récompense de l’artiste.
Le façonnage d’une plaque imprimante en cuivre, en bois ou en pierre est plus proche de la sculpture que de la peinture. Ce n’est pas par hasard que la gravure attire particulièrement les sculpteurs. Le travail du graveur et celui du peintre sont à certains égards aux antipodes. Le pinceau tendre est conduit en surface sans résistance aucune. Crayon, plume, pointe d’aquafortiste, plus durs, laissent des signes plus nets sur les plans travaillés. Burin, pointe sèche, gouge, sont des outils qui modifient les surfaces en profondeur. Au contraire du pinceau, leur maniement demandent l’effort physique. Cet effort s’exprime par la forme graphique correspondante.
Une petite puce de silicium gravé ayant résisté à la chaleur infernale ? Cette micro mémoire contiendra peut-être une chanson de Mickey 3D, un manuscrit de la renaissance dactylographié avec une police de caractère « times new roman » ou la comptabilité de quelque marchand d’armes !
Bref, ce nouvel avatar de l’homo sapiens-sapiens s’en fera un bijou (l’utile futile) et ira imprimer quelques mains sur la pierre pour fêter sa trouvaille, tout en ressentant confusément qu’il porte autour du cou l’explication de sa présence sur cette terre en recommencement.